dimanche 18 février 2007

Complices des Enfants
par Léandre Bergeron

Les parents sont des gens dangereux. Mais, les éducateurs le sont davantage car ils n’ont aucun engagement profond vis-à-vis l’enfant. Il n’ont que leurs petits intérêts représentés par leur salaire. Entre deux maux, au nom de nos enfants, choisissons le moindre. Comme parents, tout dangereux que nous sommes, assumons l’entière responsabilité de l’épanouissement de nos enfants. Ne la refilons pas à d’autres, car, alors, ce n’est pas l’épanouissement mais la catastrophe. Assumer cette responsabilité c’est refuser la rupture qui se produit quand, en tant qu’adulte, nous laissons s’infiltrer entre nous et l’enfant, la destructive pensée de ce que l’enfant doit être, doit savoir. (Évidemment, tant et tant d’adultes ne peuvent même pas sentir le danger de cette rupture, car ils sont en perpétuel était de séparation avec eux-mêmes, avec les autres, avec leurs enfants. Et les enfants sont alors objets, à posséder, à contrôler, à mettre en boîte, une pâte visqueuse à modeler selon un idéal social, aberrant par définition.)

L’école est, par définition, cette rupture. On nous kidnappe nos enfants pendant les meilleurs heures de la journée pour nous les rendre, tout croches, épuisés, et « Occupez-vous-en maintenant car demain on recommence. L’enfant dit « Je ne veux pas aller à l’école ». Il ne veut pas cette rupture, cette séparation, ce déchirement. Il pleure, il crie. Si on s’est habitué aux pleurs, aux cris de nos enfants, si on est soi-même « éducateur », si on a soi-même embarqué dans l’idéologie du divorce, du devrait être, on dit : « C’est un caprice. Marche à l’école ». Ou on le cajole avec du nanan. À l’américaine, on dore la pilule en disant : « Come on, Johnny, school is fun! Mais si on n’a pas embarqué dans cette machination aliénante, on dit à l’enfant : « Tu as raison. Reste avec moi. » Mais alors, grands dieux, son éducation?!! Et la peur renaît. Que faire ?

Faire son « éducation » à la maison? Faire la même chose qu’à l’école mais en dorant la pilule ? Se fendre en quatre pour rencontrer les soi-disant normes de l’écoles ? * Et se retrouver en bout de ligne, épuisés, avec à peu près les mêmes résultats ? Non, merci. Si, comme être humains, on a refusé la rupture avec ceux qui sont sortis de nos corps, nos, enfants; si on est soi-même assez décroûté pour écouter nos enfants quand ils nous parlent pour nous dire qu’ils ne veulent pas se faire traiter comme des chiens savants, alors là, on fiche par-dessus bord tous les programmes, toutes les « normes », toutes les incessantes comparaisons, les tests, les appareils de torture de l’esprit humain; on se vide de tous ces schémas conformistes, ces cadres de pensée qui emprisonnent et l’on embrasse son enfant et la vie. Et on l’écoute.

On ne lui dit plus : « Il faut que tu saches ceci à ton âge, etc. » On rompt définitivement avec le devrait savoir, le devrait être, le devrait penser, le devrait faire. On lui fiche la paix. On le respecte. On voit à son bien-être, c’est-à-dire qu’on devient son complice. Ensemble, on est complices, envers et contre tout et tous s’il le faut. Et là, tout change.

Quand l’enfant sent dans la profondeur de son être que l’adulte dont il dépend pour survivre n’est pas son geôlier mais son complice dans l’action de vivre, il veut tout savoir, tout apprendre, tout connaître, mais en temps et lieu. Et il s’ouvre comme une fleur au soleil. Et là, plus d’effort. Tout vient. Ses questions surgissent. Et on répond à toutes ses questions dans l’humilité car, en fait, on en sait pas grand-chose. Et quand il pose des questions auxquelles il n’y a pas de réponse, on partage avec lui la question sans réponse. « Qui a créé le monde? » Aucun être humain un peu sensé ne donnera de réponse à cette question. On partage le « je ne sais pas » et dans ce partage du « je ne sais pas », non pas la peur, mais l’émerveillement, qui est le premier pas vers la sagesse. Ceux qui savent, ne savent rien. Ils croient savoir. Ils « s’expliquent » le monde avec des formules pour se rassurer. De la poudre aux yeux. Regardez aller nos intellectuels dans tous les domaines. Ils croient savoir et quel désastre ils ont fait et continuent de faire de ce monde.

Nos intellos ont créé des camps de concentration appelés écoles où l’on concentre notre jeunesse dans des abstractions, loin de la vraie vie tout en leur racontant qu’on les prépare à la vie. Concentre 20, 30 enfants dans une boîte de béton avec un intello qui croit savoir et monnaie ce petit « savoir » au nom de l’ « instruction publique », quelle indécence ! Nos enfants veulent embrasser le monde, la vie, et on leur offre des blocs de béton fluo à regarder avec un clown, devant, qui se démène dans l’abstrait. Conditionnés à l’école à n’être que des voyeurs à travers l’abstraction de la langue et des gadgets pédagogiques, il n’est pas surprenant qu’abrutis de la sorte ils soient, à la maison, voyeurs de télévision et dans la rue, des vandales. L’école produit les vandales et les drogués qui encombrent les rues des villes comme elle produit ceux qui réussissent, ces autres drogués, mais légitimes ceux-là, droguées de petits pouvoirs sur les autres, politiciens, entrepreneurs, administrateurs, professionnels.

On a dit, il y a cent ans : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. » Belle illusion de fin dix-neuvième. On bâtit toujours autant de centres de détention qu’on bâtit d’écoles, et les prisons sont tellement pleines que s’il fallait détenir tous ceux que la « justice » veut enfermer, on y retrouverait à peu près en nombre l’équivalent de la population scolaire actuelle. La détention de nos enfants dans les écoles est un crime contre l’humanité.

On détient nos enfants au nom de leur éducation, mais, en fait, quelle est cette « éducation »? C’est d’abord et avant tout l’obéissance. On leur apprend à se soumettre. Autrefois, c’était se soumettre aux diktats de l’église. Aujourd’hui, c’est aux diktats de l’état. Changement de costume, c’est tout. Mais toujours le même terrorisme. « Si tu sais pas ceci, cela, t’auras jamais de job! » On fait peur aux enfants pour qu’ils se soumettent. Or, la soumission au régime de l’État et de la « bonne » société qui en contrôle les rouages est un dressage social, dressage de petits singes savants qui doivent fonctionner dans cette société pourrie d’ambition, de cupidité et d’égoïsme éhonté, cancers sociaux causés eux-mêmes par la peur, la peur de ne pas être, de ne pas être quelqu’un, de ne pas être accepté, etc.

L’école se sert donc de la peur pour perpétuer le régime de la peur. L’école perpétue le cercle vicieux. Elle joue bien son rôle. Or, il semble qu’au fond de nous-mêmes nous sentons que nous ne sommes pas nés pour n’être que des singes plus ou moins savants (cela tous les décrocheurs le manifestent instinctivement). Il semble que, si nous sommes nés pour quelque chose, c’est bien pour la liberté. Parmi toutes les « libertés » que nous cherchons, il s’agit de la fondamentale, se libérer de la peur. Pour briser le cercle vicieux et infernal de la peur, il faut le briser quelque part et ce lieu est en soi-même. Cela fait, les évidences sautent aux yeux et on voit que si la nature a été assez généreuse pour nous donner charge d’enfants, il va de soi qu’on ne va pas les soumettre à un régime de peur. On ne les envoie pas à l’école. On s’en charge soi-même. On leur permet de se développer dans la liberté.

S’en charger soi-même c’est vraiment se décharger du poids des conformismes, des devrait être, devrait savoir, devrait faire. Et on se rend compte du poids qu’ils sont quand on les met à terre. On se sent léger, rajeuni. Comme les enfants eux-mêmes (s’ils ne les portent pas déjà). La complicité s’installe. On fait confiance aux enfants. Et on découvre en eux un sens de la vérité plus fort que chez n’importe quel philosophe patenté; un sens de la justice qui ferait pâlir la Cour Suprême; un sens de l’honnêteté à faire frémir tous les politiciens, un sens de la beauté qui met au rancart toutes ces « expressions artistiques » sonores, visuelles, littéraires; un sens moral qui est vitriol sur le masque des bien-pensants, une générosité à faire rougir les preux chevaliers d’antan.

Quand on se rend compte du potentiel de changement social que représentent les enfants qui ne subissent pas la rupture, on comprend pourquoi la société adulte, pétrie de peur qui amène avarice, lâcheté, bassesse, soumission, s’imposerait de mettre au pas par son système scolaire ces agent libres que sont nos enfants à leur arrivée parmi nous.

Et on comprend mieux les paroles d’un décroché qui a dit en passant : « Si vous ne redevenez pas comme les enfants, you’re going nowhere. »


* Note LEMAQ : Où pour rencontrer les procédures suggérées par une association provinciale ?

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Gaia écrit maintenant sur son blog personnel Apprentissage Infini

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